Cet article a été rédigé par Régis Andrieux, fondateur de Monser (société parisienne de diagnostics immobiliers), qui nous donne son sentiment sur les risques de fournir des mesures Carrez dans des villes où les prix de l’immobilier sont très élevés, et sur les solutions possibles pour améliorer la situation.
Lorsqu’on est diagnostiqueur dans une des zones de France dites « tendues », où les prix de l’immobilier sont très élevés (Paris par exemple, puisque c’est notre cas !), on a affaire à une clientèle particulièrement focalisée sur la mesure Carrez des logements. Les incitations à gonfler les mesures obtenues sont nombreuses, et les occasions où il faut annoncer à un propriétaire que son bien est moins grand qu’il ne le pensait ne manquent pas. On en vient à se dire qu’une mesure de contrôle, systématique et réalisée par l’acquéreur en plus de celle du vendeur, éviterait bien des problèmes.
Faire des mesures des Carrez à Paris
En tant que diagnostiqueurs parisiens, chez Monser, nous sommes aux premières loges pour observer que dans la capitale tout le monde, des agents immobiliers aux propriétaires, est obsédé par la surface Carrez. Cela donne des situations cocasses, voire un peu ridicules, mais aussi d’autres moins amusantes.
Les situations cocasses
On rencontre souvent ce propriétaire qui vient de décréter qu’il va vendre « à 11 000 du mètre » et qui maintenant veut savoir combien il y en a, de mètres, et qui ne veut pas vous voir oublier le moindre recoin. Il vous suit partout et pointe du doigt chaque cm² de son petit bijou en vous demandant « et ça, vous le comptez ça ? ». Le plus souvent c’est très agaçant, mais parfois c’est drôle. Voici deux exemples particulièrement savoureux. Et c’est du vécu !
Numéro 1, l’agaçant : un monsieur du type décrit ci-dessus me montre un coffrage de conduits de cheminée et me dit qu’il va le détruire, car ses voisins du dessous n’ont plus de cheminée et que ce conduit est vide, et que de toute façon plus personne n’utilise de cheminée à Paris. Je hoche la tête et continue comme si de rien était, après quoi il m’explique qu’il faut que la surface de ce coffrage soit prise en compte dans la loi Carrez, puisqu’il va le détruire !
Je garde mon calme pour lui dire que je dois mesurer ce que je vois, et que le coffrage est bien là pour l’instant. Il insiste à nouveau et s’agace et j’essaie à nouveau de garder mon calme, et ceci pendant 5 bonnes minutes, jusqu’à ce qu’il me dise « mais je le détruis maintenant si vous voulez ! ». C’est là que je perds mon calme et lui confirme que c’est effectivement une bonne solution, que j’en ai pour une heure à terminer mes diagnostics et que j’ajouterai son coffrage à la Carrez s’il l’a cassé d’ici là !
Bien sûr, à partir de ce moment il m’a laissé tranquille, et le coffrage est resté tel quel. À noter que tout cette histoire concernait un coffrage de cheminée, et que cela mesure au maximum 1.20m x 0.40m, soit moins d’un demi mètre carré !
Numéro 2, le calculateur : un autre monsieur, toujours du même moule, me regarde mesurer sa salle de bain. Il y a de la faïence murale jusqu’à mi-hauteur, et je pose le lasermètre sur la faïence pour prendre les mesures. Il me demande alors pourquoi je ne pose pas le lasermètre au-dessus, pour gagner l’épaisseur du carrelage. Je lui indique poliment que ça ne change franchement rien, et c’est alors qu’il me fait le raisonnement suivant : sa salle de bain fait 1.50m x 1.50m, soit 2.25 m². Si on enlève l’épaisseur de la faïence (1.5cm) de chaque côté, cela donne 1.47m x 1.47m, soir 2.15 m². Et comme le dit le dicton parisien, « à 10 000 € du mètre, 0.1 m² ça fait une sacrée différence ! ».
Et oui, à Paris, vous gagnez 1 000 € si vous enlevez la faïence murale de la salle de bain avant de vendre votre appartement !
Les situations moins amusantes
Il existe des situations qui prêtent moins à sourire, dues la plupart du temps à la malhonnêteté (puisqu’il faut appeler un chat un chat) de certains confrères.
L’appartement mansardé : il m’est arrivé d’obtenir une mesure de 54 m² Carrez, dans un appartement dont le propriétaire attendait 63 m². Il m’a présenté deux diagnostics différents, annexés aux deux derniers actes de vente, qui indiquaient chacun cette même surface, surestimée de 9 m². Dans la mesure la plus récente, une pièce mesurant 7 m² au sol et moins d’1 m² Carrez était notée à 4 m² Carrez, ne laissant aucun doute sur la volonté de truquer le résultat de la part du diagnostiqueur.
La perte pour ce propriétaire, qui déménageait car sa famille s’agrandissait et qui avait déjà signé l’achat de son logement suivant, était d’environ 90 000 €.
La tricherie franche : dans un autre appartement, celui-ci tout à fait rectangulaire et ne comportant aucune difficulté de mesure, j’annonce 62 m² au propriétaire qui attendait 66 m². J’ai tout de suite senti un peu d’animosité dans le regard du monsieur, mais nous avons calmement comparé ensemble la mesure Carrez dont il disposait et la mienne. Dans la sienne, un couloir d’1m x 1.50m était indiqué à 4 m², et la salle de bain de 2m x 2m était indiquée à 6 m². Là encore, on ne peut pas douter que le « confrère » qui est passé avant n’avait pas les intentions les plus louables, et avait dû se laisser tenter par un dessous de table.
Face à ces situations, dans lesquelles on voit que des propriétaires se retrouvent à ne pas avoir les ressources qu’ils attendaient pour pouvoir reloger leur famille, on en vient à se demander s’il n’existerait pas une solution pour éviter ce genre de problèmes.
La Carrez de contrôle, une bonne solution ?
A titre personnel, je conseille à tout mon entourage de refaire une mesure Carrez immédiatement après avoir acheté un logement en région parisienne. Si la surface a été surestimée, ils le sauront immédiatement, et pas au moment de la revente plusieurs années plus tard. Par ailleurs, si la surface est surestimée au-delà du seuil de 5%, cela leur permettra d’engager la procédure de recours contre le vendeur, qui doit avoir lieu au plus tard un an après la vente.
En parallèle de cela, chez Monser, nous prenons également de plus en plus l’habitude de conseiller à tous nos interlocuteurs de faire vérifier les mesures Carrez. En effet, la profession dans son ensemble aurait tout intérêt à ce que ce genre de contrôle finisse par se généraliser :
- Cela créerait un petit marché supplémentaire pour les diagnostiqueurs ;
- Nous n’aurions plus à annoncer aussi fréquemment des mauvaises nouvelles aux propriétaires qui s’apprêtent à vendre. Ces discussions sont souvent longues et fastidieuses ;
- Les propriétaires et agents immobiliers, sachant qu’un contrôle va avoir lieu, perdraient l’habitude de nous demander à chaque fois d’augmenter les surfaces. Cela représenterait un gain de temps non négligeable !
- Les quelques professionnels indélicats, qui proposent de gonfler les surfaces ou de « pousser les murs », seraient mis en difficulté par une recrudescence des recours d’acquéreurs contre les mesures Carrez surestimées.
En ces temps d’augmentation importante des primes d’assurance pour les diagnostiqueurs, on peut se dire qu’un contrôle de plus n’est peut-être pas une bonne idée. Mais pour les diagnostiqueurs parisiens, la systématisation des mesures Carrez contradictoires serait clairement un soulagement et simplifierait grandement leur travail.
Régis Andrieux
www.monser.fr